Global Journal of Human Social Science, D: History, Archaeology and Anthroplogy, Volume 23 Issue 2
« européens », à la base de la construction de l’idée de «musée», mais tout au contraire rupture et distanciation. Le musée n’a pas été un lieu de confrontation féconde des représentations et des mémoires, il a été un lieu de traduction d’une domination par la violence. Traiter ce chapitre, en dehors de ce préalable, serait compromettre tout le processus cognitif qui gouverne le sujet. Ni le cas de la Tunisie, ni celui du Maroc, soumis, officiellement, au protectorat français, l’un en 1881 et l’autre en 1912, ne sont éligibles à la comparaison et ne sauraient participer à la construction ou la reconstruction d’un discours muséal sur l’Algérie, dont l’énoncé remonte aussi loin que 1830, antérieur de plus d’un demi siècle. Le protectorat, contrairement à la conquête, exprimait une perspective d’échange, de confrontation et de continuité, sous des formes apaisées ou violentes mais qui ne dépassaient jamais le seuil de la rupture. C’est par ce bout du fil de l’histoire de la conquête de l’Algérie - un segment d’une vingtaine d’années de longueur - et suivant ce préalable méthodologique, qu’il faille, à notre sens, appréhender la dimension muséale en Algérie avant de l’envisager le long du processus colonial. Au premier temps de la conquête, depuis la Monarchie de juillet jusqu’à à la proclamation de la seconde République et au-delà du fait de l’invasion militaire et de ses effets de guerre, était totalement dominé par une gérance militaire du territoire, fondée sur un double objectif : d’une part, provoquer et accompagner la déchéance, la dépossession et la déculturation des populations « indigènes » et d’autre part, inciter et encourager l’acculturation, l’épanouissement et la promotion de populations européennes nouvellement établies ou en voie d’établissement, dans le cadre d’une politique de colonisation de peuplement. La colonisation étant entendue, non pas comme suite et prolongement de la conquête mais comme son objectif et sa finalité. Il ne s’agit pas de deux séquences historiques successives mais de deux tranches d’une même séquence historique. Seule une différence de style marque la nuance, l’un militaire et l’autre d’apparence civile. Ce sont les militaires eux- mêmes qui se transformèrent en colons en s’appropriant un territoire qu’ils aménagèrent et modifièrent pour s’y installer. Ce n’est que bien plus tard et au fur et à mesure, qu’ils furent rejoints par une autre catégorie de colons «européens», qui procèdent d’une forme de colonisation plus classique. III. D e L a R encontre C lauzel/ B erbrugger Deux acteurs, aux destins croisés, vont jouer un rôle déterminant, disons même fondateur du système muséal algérien, dans un contexte d’annexion d’un nouveau territoire à la souveraineté française: le général Bertrand Clauzel (1772-1842), un militaire et Louis Adrien Berbrugger (1801-1869), un civil. Le profil et l’itinéraire de ces deux personnages sont significatifs d’une vision et d’une idée partagées sur le système conquête-colonisation. En août 1830, un mois à peine après la prise d’Alger, Clauzel fut nommé au poste de commandant en chef de l’armée expéditionnaire d’Afrique, en remplacement du général De Bourmont (4). Il était porteur d’un projet de colonisation de l’ancienne Régence d’Alger (5) . Au même moment, Berbrugger, un parisien fort influent, respecté par son parcours d’homme de lettres et élève de l’Ecole des Chartes, était de passage à Alger où il donna une de ces conférences sur le socialisme et les idées phalanstériennes, dont il était un fervent défenseur (6). La rencontre des deux hommes s’est faite dans un contexte de grand bouillonnement et de forte exaltation autour des idées « généreuses » d’association et de justice redistributive, véhiculées par les Saint Simoniens, les Fouriéristes, le communisme chrétien d’Etienne Cabet et les Francs maçons. Des idées qui cristallisèrent, un peu plus tard, sous la forme d’un grand projet utopique du Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte: «le Royaume arabe» . Ce que nous retenons du profil de Clauzel, des traits qui le rapprochaient de Berbrugger et des idées utopistes de l’époque, est ce projet sociétaire, d’intérêt collectif, forme d’autogestion, qu’il voulait réaliser, en tant qu’œuvre de colonisation, celui de la «ferme- modèle», qu’il créa sur un ancienne propriété deylicale à l’Est d’Alger (7), avec l’idée d’une exploitation pilote pour les colons, qui s’établiraient de proche en proche dans la plaine de la Mitidja, espace privilégié d’une colonisation agricole. La «ferme modèle» devait servir, d’abord, d’objectif d’implantation des vétérans de l’armée d’Afrique. Une idée qui fut reprise, après lui, mais sous d’autres méthodes moins glorieuses, par le général Bugeaud, avec le slogan: «par l’épée et par la charrue». Dans les deux cas, l’Algérie se présentait comme un laboratoire d’expérimentation, dans un contexte de crise d’emploi aigue en métropole. Il s’agissait de déplacer des expériences sociales inopérantes en métropole du genre « Ateliers nationaux » (8), vers la colonie, sous des formulations militaires de mobilisation voire même d’embrigadement. La gestion Clauzel du territoire, en tant que commandant de l’expédition militaire, était fondée sur deux principes fondamentaux: occupation restreinte du territoire, limitée à la partie littorale et négociation d’une forme de protectorat, à l’instar du beylik de Tunis, pour les autres parties du territoire, le Titteri (Médéa), Oran et Constantine. Il lui sera reproché d’avoir signé, unilatéralement, des conventions de protectorat sur ces trois territoires avec la Régence de Tunis, ce que sa Volume XXIII Issue II Version I 64 Global Journal of Human Social Science - Year 2023 © 2023 Global Journals The Museums of Algeria in the French Historiographical Field ( )D
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