Global Journal of Human Social Science, D: History, Archaeology and Anthroplogy, Volume 23 Issue 2

Pour s’en convaincre, l’arrivée de Gsell à Alger était concomitante de celle d’un autre personnage emblématique, Louis Bertrand (1866-1941), un normalien, membre de l’Académie française (élu en 1925), qui fut également détaché à Alger en 1891, comme professeur de rhétorique au lycée d’Alger. Il est l’incarnation du projet «r ésurrection d’une nation latine en Afrique du Nord, à l’ombre de la domination française» dont l’«archéologue» S. Gsell, allait constituer l’instrument «scientifique» de démonstration et de légitimation. Son rôle, propagandiste, en rupture avec les convenances académiques, consistait en la fabrique d’une nouvelle «race algérienne» au nom des « droits antérieurs à l’Islam» (35). Ce projet ne pouvait se réaliser en dehors de la mission religieuse de «résurrection de l’église d’Afrique» et du prosélytisme des Pères Blancs, incarnés par le cardinal Lavigerie (1825-1892), archevêque d’Alger et de Carthage. Ainsi, Gsell, Bertrand et Lavigerie constituèrent les trois piliers porteurs d’un nouvel édifice colonial, fondé sur la démonstration et la preuve archéologiques. Pour s’en convaincre, aussi, le premier contact de Gsell avec l’Algérie se fit avec le site de Tipasa, objet de sa thèse secondaire . Le choix de ce site et tout particulièrement de la «Basilique de la sainte salsa», procédait, naturellement, d’une commande de l’Eglise catholique, dont l’Abbé Duchesne (36) en est le maître d'ouvrage , un ecclésiaste qui, paradoxalement, a été maintenu, d’une manière exceptionnelle, à la tête de l’Ecole française de Rome (37). De quoi s’agit-il, au juste? Soudainement, en 1891, deux manuscrits espagnols relatant la «Passion de Saint Salsa », sont retrouvés dans les archives de la Bibliothèque nationale de Paris (38). La «Sainte» fut sitôt inscrite par le martyrologue de Saint Jérôme, parmi les martyrs d’Afrique du début du IVème siècle et c’est l’abbé Duchesne qui communiqua à l’Académie, le document martyrologique, qui venait d’être publié par des Bollandistes. C’est à la suite de cette communication que S. Gsell entrepris une fouille à Tipasa, dans une basilique, appelée depuis, « Basilique de la Sainte Salsa». Par son expérience italienne de Vulci, il était à même d’exercer ses qualités plutôt de philologue que d’archéologue, pour construire un mythe fondateur de l’une des premières villes coloniales au cachet «latino-chrétien», Tipasa, autour d'un martyr chrétien, la "Sainte Salsa". Gsell était tout indiqué pour exercer le savoir-faire acquis à Vulci, en matière de fouille d’une nécropole ; il s’agissait de reproduire le même protocole de dégagement des tombes et de leur mobilier, de leur description, leur étude et leur mise en musée (voir musée étrusque du Palais Torlonia de la Lungara et Musée préhistorique de Rome). C’est la publication, en 1891, des « Fouilles dans la nécropole de Vulci, qui propulsa Gsell au devant de la scène archéologique. Il s’intéressa à Tipasa en même temps et à la suite des hommes d’église, tels Lavigerie, l’Abbé Saint Gerand, l’Abbé Grandidier, l’Abbé Rance et l’Abbé Duchesne, pour récolter et rassembler les preuves et les arguments de concordance de l’archéologique (la basilique chrétienne, notamment les inscriptions) et de l’historique (les manuscrits sur la passion de la martyre africaine). Avec l’Abbé Saint Gérand, en 1891 puis en 1892 et 1893, Gsell fouilla l’essentiel de la basilique Sainte Salsa. Ses recherches – orientées - ont été précédées par des actions tout azimut d’investigations et d’excavations en quête des moindres indices confortant la thèse de la martyre chrétienne tipasienne. (39) Le travail laborieux de dépouillement des archives et documents existants, tout domaine confondu, qu’il effectua, les dix premières années de son établissement à Alger, furent compilés en chapitres dans la Revue africaine et repris juste après dans les Mélanges de l’Ecole française de Rome, qui avait ouvert à cet effet, la «Chronique africaine ». C’est partant de ce corpus de documents et de matériel archéologique, déposé dans les différents musées et les lieux de dépôts, qu’il établit son plan d’investigation du territoire, dans la perspective d’une œuvre totale, qui fut consacrée, à termes, en 1901, dans les deux volumes: « Les monuments antiques de l’Algérie», édités sous l’égide du gouvernement général. C’est dans la région nord-est algérienne, le Constantinois, le Setifois et les Aurès qu’il déploya toute son énergie, en se mettant sur les traces des anciennes expéditions, avec l’avantage du débordement sur les autres territoires et de la possibilité d’y retourner. Aux dessins et croquis des premières expéditions, il substitua les relevés et les plans aux échelles convenues. Il reprit les planches de MAI.-Al. Delamaire, en y introduisant du texte et du commentaire (1912). Il se plaça, également, en vis-à-vis voire en concurrence avec les architectes des monuments historiques, notamment, R. Duthois (Architecte des monuments historiques d’Algérie, 1880) et A. Ballu (Directeur du service des monuments historiques de l’Algérie, 1889), dans les grands sites de Timgad, Djemila, Announa, Khamissa, Madaure. De cette confrontation, il s’y dégagea deux grandes tendances, celle des architectes des monuments historiques, soumise aux règles académiques de la profession, et celle des historiens, archéologues antiquisants, auxquels la philologie ouvrait le champ à une investigation scientifique plus ouverte. Cette deuxième tendance était incarnée par S. Gsell et toute l’Ecole des antiquisants d’Alger. L’œuvre de Gsell est gigantesque, par son volume et sa portée; c’est un énorme corpus (mémoires, catalogues, atlas, guides) conçu dans la Volume XXIII Issue II Version I 75 ( ) Global Journal of Human Social Science - Year 2023 D © 2023 Global Journals The Museums of Algeria in the French Historiographical Field

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